Publié le vendredi 31 décembre 2010 | Autre presse
Chère Françafrique!
Par Venance Konan
Jusquà ce jour en Afrique, tous les maux de la société sont toujours attribués à un sorcier ou une sorcière. Un homme meurt-il, dans un accident de voiture par exemple, on trouvera un sorcier à qui attribuer le décès. En 2007, après la cérémonie de la « flamme de la paix » à Bouaké, un leader de la FESCI, ce syndicat estudiantin qui soutient aveuglément Laurent Gbagbo trouva la mort dans un accident de la route en faisant un dépassement dangereux. Le jour de son enterrement, ses camarades étudiants incendièrent les cases de quelques vieilles personnes de son village quils accusaient dêtre les sorciers responsables de sa mort.
Cette mentalité anime encore bon nombre dintellectuels africains et panafricanistes installés bien au chaud (façon de parler en ce moment) en France.Pour toute chose, il faut chercher le coupable ailleurs. Et pour eux, tout ce qui arrive de négatif en Afrique est le fait de la France ou de son excroissance, la Françafrique. Cest elle, notre sorcier. Ainsi, la crise post-électorale qui secoue en ce moment la Côte dIvoire serait la faute à la France ou à la Françafrique. Chère Françafrique ! Que serions-nous devenus, nous intellectuels africains et panafricanistes, si tu navais pas existé pour nous dédouaner de toute responsabilité dans nos malheurs. Laurent Gbagbo et Blé Goudé sont ainsi présentés par nos chers intellectuels africains et panafricanistes de Paris comme de preux chevaliers qui se battent pour délivrer leur pays, voire tout le continent, des griffes de la vilaine Françafrique. Des rives enneigées de la Seine, personne parmi eux na remarqué que Laurent Gbagbo a cédé toute léconomie de son pays aux multinationales, surtout françaises, et quen dix ans de règne, il na formé aucun cadre susceptible de créer ou de diriger la moindre entreprise, puisquil a laissé la FESCI tuer tout le système éducatif en y pratiquant le racket, le viol, le meurtre. Personne na remarqué la formidable prédation à laquelle sest livré son régime sur léconomie ivoirienne et la corruption que ce régime a secrété, gangrénant toute la société ivoirienne. Personne là-bas na remarqué que Blé Goudé a triché pour obtenir sa licence, quil est le chef des « Jeunes patriotes » qui se sont surtout signalés par leur aptitude à racketter, à violer, et à tuer, et que ce Blé Goudé, aujourdhui nommé ministre par Gbagbo, est sous sanctions de lONU pour tous ces motifs. Loin de moi lidée dexcuser les mêmes crimes commis par la rébellion et que je nai jamais cessé de dénoncer, mais un crime nexcuse pas lautre. Et personne là-bas na remarqué la liberté de la presse bâillonnée, les messages de haine délivrés par la radio télévision nationale et la presse proche de Laurent Gbagbo, les ressortissants étrangers quotidiennement menacés. Non ! Laurent Gbagbo est un grand combattant de la liberté !
Trêve de balivernes. Ce qui se passe en Côte dIvoire en ce moment est tout simplement une tentative de braquage de la démocratie. Les Ivoiriens ont voté et ont dans leur grande majorité donné leurs voix à Alassane Ouattara. Et Laurent Gbagbo qui proclame urbi et orbi que son pouvoir lui vient de Dieu ne veut pas le lâcher.
Nos intellectuels africains et panafricanistes de Paris nous parlent dingérence de la communauté internationale dans les affaires dun pays africain, du droit qui a été dit par le Conseil constitutionnel, de trucages des scrutins dans le nord de la Côte dIvoire, de pressions des rebelles des Forces nouvelles.
Sans doute que dans le confort dans lequel ils vivent à Paris, ils nont pas remarqué quen 2005, ce sont les leaders politiques ivoiriens, avec à leur tête le président de la république dalors, Laurent Gbagbo, qui ont demandé à lONU de venir certifier tout le processus électoral ivoirien. Et chaque étape du processus a dû être validée par lOnu avant que lon ne passe à la suivante. On se souvient tous, pour ceux qui veulent sen souvenir, quen février dernier, Laurent Gbagbo avait dissout la Commission Electorale Indépendante et obtenu des modifications dans sa composition, ainsi quun nouveau président. On se souvient que lenrôlement sur les listes électorales avait été lobjet de plusieurs blocages et reports, pour satisfaire les désirs de Laurent Gbagbo. Je vous épargne toutes les péripéties des audiences foraines où le sang avait même coulé. Nous avons mis cinq ans pour arriver à ce que M. Laurent Gbagbo convoque le collège électoral au scrutin. Entre temps, il avait signé laccord politique de Ouagadougou et ses différents ajouts, avec M. Guillaume Soro quil a présenté avant lélection comme le meilleur des ses différents Premiers ministres. Cest cette communauté internationale, aujourdhui vouée aux gémonies, qui avait financé tout ce processus. Et cest lorsquelle a validé la liste électorale quon est allée à lélection. Personne à cette époque navait parlé dingérence étrangère et de souveraineté nationale bafouée. Nous sommes allés au premier tour du scrutin, avec toujours les rebelles armés au nord. Personne, ni ici, ni ailleurs ny avait trouvé à redire. Les résultats qui plaçaient M. Gbagbo en tête ont été acceptés par tous, après la certification du représentant de lONU. Et dans les attendus du décret signé par M. Gbagbo pour convoquer les Ivoiriens au second tour, il est bien mentionné « vue la certification des résultats du premier tour par le Représentant spécial du secrétaire général de lONU
» Je vous rappelle que M. Gbagbo avait instauré un couvre-feu sur toute létendue du territoire, sans avoir prévenu qui que ce soit, à la veille de ce second tour. Et il avait dépêché 1500 soldats dans les zones occupées par la rébellion. A lissue du scrutin, personne, parmi les personnes présentes sur place et habilitées à rendre compte de la manière dont les opérations se sont déroulées, à savoir les préfets et sous-préfets nommés par Laurent Gbagbo, les observateurs de lONUCI, de lUnion européenne, de lUnion africaine, de la CEDEAO, du Centre Carter, les journaliste présents, et Dieu seul sait combien ils étaient nombreux, personne na signalé dincidents majeurs ayant entaché la sincérité du scrutin. On ne nous a signalé aucun incident entre les soldats envoyés pas Gbagbo et les Forces nouvelles. On est daccord ? Et voici quà peine le président de la CEI a-t-il donné les résultats provisoires que le président du conseil constitutionnel se précipite sur le plateau de la télévision pour annoncer que ce que le président de la CEI a dit est nul et non avenu, parce que des résultats seront annulés. Et quelques heures plus tard, sans que lon sache ni comment, ni quand il a enquêté, il annule dun trait les résultats de tous les départements du nord en y ajoutant Bouaké qui est au centre, qui ont massivement voté pour M. Ouattara. Vous ne trouvez pas cela un peu gros, amis intellectuels africains et panafricanistes de Paris ? Mais ce qui est absolument inacceptable dans lattitude du Conseil constitutionnel est quil a pris sa décision totalement en dehors du droit. La loi ivoirienne dit très précisément ceci : « dans le cas où le Conseil constitutionnel constate des irrégularités graves de nature à entacher la sincérité du scrutin et à en affecter le résultat densemble, il prononce lannulation de lélection et notifie sa décision à la Commission électorale indépendante qui en informe le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies et le Représentant du Facilitateur à toutes fins utiles. La date du nouveau scrutin est fixée par décret pris en conseil des ministres sur proposition de la CEI. Le scrutin a lieu au plus tard 45 jours à compter de la date de la décision du Conseil constitutionnel. » Quest ce qui est ambigu dans ce texte ? Quest-ce qui est sujet à interprétation ? On pourrait peut-être pinailler sur la question de savoir qui du Conseil constitutionnel ou du Représentant du Secrétaire général de lONU a le dernier mot. Mais rien, absolument rien, dans le droit ivoirien nautorise le Conseil constitutionnel à annuler les résultats du scrutin dune région, de manière à inverser les résultats provisoires. Je voudrais que nos intellectuels africains et panafricanistes de Paris mindiquent ce qui en droit pourrait autoriser le Conseil constitutionnel à violer ainsi la loi dont il est le gardien. Le Conseil constitutionnel ivoirien a tout simplement inventé ici le droit. Or il nest pas le législateur. Son rôle est de dire tout simplement le droit, et rien que le droit.
Aussi, lorsque jentends ou lis nos intellectuels africains et panafricanistes de Paris sarcbouter sur le fait que le Conseil constitutionnel a le dernier mot, sans dire que ce Conseil a tout dit sauf le droit, je dis quil sont tout simplement malhonnêtes. Se rendent-ils compte de ce quils défendent ? La Côte dIvoire est entrée dans cette période de turbulence qui a débouché sur une rébellion armée parce quà un moment donné, les ressortissants du nord de ce pays avaient été suspectés de nêtre pas totalement ivoiriens. Après une dizaine dannées de tumulte, après plusieurs reports dus à la suspicion et dans le souci déviter toutes contestations ultérieures, des élections libres et transparentes se sont déroulées, sous le regard du monde entier. Elles ont été les plus coûteuses au monde. Les Ivoiriens tenaient tellement à sortir de cette crise quils ont accepté sans broncher quAdama Dolo, dit Dahico, humoriste de son état, qui avait été naturalisé depuis moins de cinq ans, soit candidat, par la seule volonté de Laurent Gbagbo, en violation de la constitution. Et le monde entier a constaté le très fort taux de participation qui était un record mondial. Et voici que le Conseil constitutionnel, sans aucune base juridique, raye dun trait les votes de toutes les régions du nord. Il leur dénie ainsi tout simplement leur citoyenneté ivoirienne, ce que livoirité tant décriée navait pas osé faire. Se rendent-ils compte, ces intellectuels africains et panafricaniste parisiens quen défendant cela, et si par hasard une telle forfaiture devrait prospérer, ils cautionneraient ainsi la future guerre civile qui dévasterait la Côte dIvoire ? Cest cela leur panafricanisme ? Sen rendent-ils compte ? La question ici nest pas de soutenir tel candidat contre tel autre. Il sagit de défendre la démocratie. Les Ivoiriens ont voté, ils ont clairement exprimé leur vote, et Laurent Gbagbo veut confisquer leur volonté. Il ny a pas de France ou de Françafrique dans cette affaire. Chercher des poux dans les cheveux de la France, cest chercher à accuser un sorcier lorsquun homme ivre se tue au volant de sa voiture. Nos intellectuels africains et panafricanistes de Paris ont presque tous fui leurs pays respectifs pour cause de déficit démocratique et dabsence de liberté. Cest en tout cas ce que la plupart dentre eux disent. Nous autres qui avons fait le choix de continuer de vivre sur le continent malgré tout, nous avons toujours rêvé de voir nos pays devenir aussi démocratiques quailleurs. Nous nous sommes toujours battus pour cela, avec la conviction que notre état actuel nest pas une fatalité. Ce que lon a toujours reproché à la France et à son excroissance la françafrique, cest davoir maintes fois piétiné les désirs démocratiques des peuples africains et de leur avoir imposé des dirigeants corrompus. Et voici quun peuple africain, celui de Côte dIvoire, a pu choisir librement, pour la première fois de son histoire, celui quil veut comme dirigeant. Et un dictateur aux petits pieds veut tuer cette démocratie naissante en massacrant tous ceux qui dans son pays sopposent à lui. Toute la communauté internationale dit « non » à ce hold-up. Et ce sont nos intellectuels africains et panafricanistes de Paris qui, aujourdhui, prennent la défense de cet assassin, aux côtés des Vergès, Dumas, et autres barons de lextrême droite française ? Pincez-moi, je rêve ! Et ils ne disent pas un seul mot sur les centaines de personnes que Gbagbo et ses mercenaires tuent tous les jours ! Cest vrai que Paris est loin et ils nentendent pas les crépitements de mitraillettes, les cris des personnes que lon enlève, que lon torture, les bruits des casseroles sur lesquelles les femmes tapent dans tous les quartiers où lon ne dort plus, pour signaler larrivée des tueurs, dérisoires défenses contre le silence des intellectuels africains et panafricanistes de Paris. Non, vous nentendez pas, et vous direz comme Blé Goudé, que ce sont des rumeurs, ou comme Laurent Gbagbo, que cest encore un complot de la communauté internationale. Mais moi je vis à Abidjan et chaque nuit, je me couche avec la peur au ventre, et, pendant les nuits de couvre-feu, jai entendu durant des heures les tirs des miliciens et mercenaires de Gbagbo. Jai moi aussi, fait le compte de mes connaissances tuées, torturées ou disparues. Je ne sais pas quand mon tour arrivera, parce que je suis dans leur collimateur. De grâce, que ceux qui ne peuvent rien pour nous aient au moins la décence de se taire.
Venance Konan
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